La Zone d'intérêt ***
Film de Jonathan Glazer (2023) Article vu 90 fois
Grand prix du Festival de Cannes 2023
Nous sommes à l’été 1943, à Auschwitz. Le commandant du camp, Rudolf Höss vit avec sa famille dans une belle maison dotée d'un grand jardin et située juste contre le camp d'extermination. Il emmène les enfants nager et faire du radeau tandis que sa femme s'occupe du jardin et dirige les femmes de ménage. Leurs journées sont accompagnées par un léger bruit de fond constant : les hurlements des prisonniers, les tirs des soldats, les aboiements de chien, les sifflements des trains ainsi que les machines qui font tourner les fours du camp.
Le film reste une fiction inspirée du roman éponyme de Martin Amis, il nous montre une famille de rève, Rudolf (Christian Friedel), sa femme Hedwig (Sandra Hüller) et leurs cinq enfants, dans une magnifique maison à la campagne, entre rivière et bois. C’est pour eux la concrétisation d’un rêve : leur « zone d’intérêt » (1). La proximité immédiate du camp d’Auschwitz ne semble pas les gêner. C’est hallucinant !
On suit également Rudolf Höss, dans l’exercice de ses responsabilités. Il gère le camp, en bon ingénieur, cherchant à optimiser les process. A tel point qu’il va rapidement monter en grade. Cette absence totale de perception de l’horreur qu’il manipule est presque invraisemblable.
Le film de Jonathan Glazer est très bien mené, dans cette cohabitation de proximité entre vie de famille et abomination de la shoah. Les séquences se suivent, au sein de la famille Hoss, la visite de la grand-mère, les réceptions et la piscine en été… « La zone d’intérêt » nous fait côtoyer, la vie ordinaire de toute ces personnes, comme si de rien n’était. Les séquences à l’intérieur du camp sont très rares et, heureusement, l’horreur de l’extermination n’est pas montrée.
Le film montre la facilité pour toutes ces personnes de s’occuper de leurs petites affaires, sans aucune perception, gène ou difficulté de coopérer au massacre de milliers de personnes. Ils vivent leur vie » ou « font leur job » sans gène ni scrupule. On est au cœur de la « collaboration ordinaire ». Chaque collaborateur fait partie d'un système, d'un état, d'une organisation ; c'est le but commun. Pour le reste on ne se pose pas de questions.
Et c’est tellement d’actualité ! Combien de personnes ont collaboré au massacre du 7 octobre, ou d’autres à l’assassinat récent d’Alexeï Navalny (opposant à Poutine, interné dans un camp de Sibérie), en obéissant à leurs chefs ou en suivant « la ligne du parti »... Sans parler du génocide Arménien, ou de celui du Rwanda.
Je ne vois pas d’autre alternative à ce mal absolu, que d'avoir la certitude que toute personne humaine est « ton frère ou ta sœur » et que tu dois « l’aimer comme toi-même » et s’il t’a fait du mal, « lui pardonner » (2). Et en ce cas on ne peut accepter l’ignominie, ni y collaborer. C'est le bel exemple de Franz Jägerstätter (3), cet autrichien catholique, qui refusera, jusqu’à la mort, toute allégeance et collaboration avec Hitler.
(1) La Zone d'intérêt, c'est le nom que les nazis avaient donné à la zone de 40 km2 qui bordait le camp d’ Auschwitz
(2) A la suite du génocide vendéen : « la Vendée pardonne, mais n’oublie pas »
(3) A fait l'objet d'un très beau film de Terrence Malick : "Une vie cachée" en 2019